Grimaldi : L'hôpital malade de la rentabilité

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L'hôpital va mal. Il va mal parce que la société va mal. Et notre société va mal parce que les valeurs collectives sont ébranlées par deux processus simultanés : la technicisation qui libère l'homme de la nature, mais peut le rendre esclave de la technique ; la marchandisation qui transforme tout, y compris les rapports humains les plus essentiels, ceux qui engagent la vie et la mort, en un simple commerce.

Enfant des CHU, André Grimaldi ne se résigne pas au renversement des valeurs actuelles qui font du médecin un producteur de soins, du malade un consommateur, de la médecine une affaire. Médecin salarié convaincu que l'application du « juste soin au juste coût » exigée par son éthique professionnelle s'accompagne mal des conflits d'intérêts, l'auteur critique les réformes mises en oeuvre qui visent à faire de la santé une marchandise comme les autres et de l'hôpital une entreprise : la tarification à l'activité dite « T2A » qui pousse les médecins à multiplier les actes rentables, le numerus clausus qui a conduit à la pénurie médicale actuelle et à l'importation de médecins étrangers, le développement de consortiums de cliniques privées commerciales, l'arrivée des assureurs privés sur le « marché de la santé ». Quel monde allons-nous laisser à notre jeunesse ?

À partir de son expérience personnelle, le professeur Grimaldi nous livre de nombreux exemples de cette déshumanisation à l'oeuvre dans le service public, très souvent des cas ubuesques qui défient le bon sens. Une autre voie est pourtant possible : un système basé sur la solidarité faisant coexister un service public et un secteur privé à but non lucratif.

Chef du service de diabétologie-métabolisme du groupe hospitalier de la Pitié-Salpêtrière (Paris).

Article tiré du Monde Diplomatique de février 2009 de
André Grimaldi, Thomas Papo et Jean-Paul Vernant :

Urgences hospitalières saturées, cliniques florissantes, franchises médicales étendues...
Traitement de choc pour tuer l’hôpital public

Des malades chroniques, en France, ont entamé une grève des soins pour protester contre le paiement de sommes forfaitaires pour les médicaments, les transports en ambulance et les visites médicales. Périlleux, le mode d’action rappelle que la santé ne saurait être un marché « comme les autres ». Or les réformes du financement de la Sécurité sociale et des hôpitaux publics mettent en péril l’accès aux soins pour les malades, le travail des professionnels concernés et la qualité de la médecine.
Par André Grimaldi, Thomas Papo et Jean-Paul Vernant

La crise des hôpitaux et du système de santé français ne doit rien au hasard. Elle est d’abord due à la pénurie médicale qui résulte de la politique suivie pendant vingt ans, de façon continue, par tous les gouvernements. Pendant cette période, on est passé de la formation de huit mille cinq cents à trois mille cinq cents médecins par an (1). Cette politique malthusienne a été prônée à la fois par certains économistes spécialistes de la santé et par les syndicats de médecins libéraux.

Pour les économistes en question, c’est l’offre qui détermine la demande. En diminuant la première, on allait donc réduire la seconde. Cette position paraît d’autant plus étonnante qu’elle ne comprenait, en parallèle, aucune adaptation du système de soins. De façon moins naïve, les syndicats de médecins libéraux estimaient que la diminution du nombre de praticiens leur permettrait d’être en position de force sur le marché. De fait, cette diminution favorise la pratique des dépassements d’honoraires, notamment des spécialistes, laquelle est en grande partie légalisée par la réforme de la Sécurité sociale mise en place par M. Philippe Douste-Blazy. La philosophie de cette pratique est bien résumée par la déclaration du docteur Guy-Marie Cousin, président du Syndicat des gynécologues-obstétriciens de France ; si le dépassement d’honoraires en clinique « ne convient pas aux patients, estime-t-il, il faut qu’ils aillent à l’hôpital se faire soigner par des praticiens à diplôme étranger (2) » ! Conséquence de cette logique, la désertification médicale ne touche pas seulement certains territoires ruraux, mais aussi certaines spécialités inaccessibles à ceux qui n’ont pas les moyens de payer les dépassements d’honoraires.
Besoins de santé en augmentation

C’est sur ce fond de pénurie, au moins relative, qu’a lieu le débat récurrent sur le « trou de la Sécu ». Pour une part, il s’agit d’un faux débat car les comptes de la Sécurité sociale dépendent non seulement des sorties, mais aussi des rentrées financières. Or le déficit de la branche maladie – 6 milliards d’euros cette année – s’explique largement par le manque de recettes, le chômage entraînant une diminution de celles qui proviennent des cotisations sociales. Ce fait conduit à réfléchir à de nouvelles options moins aléatoires et moins inégalitaires. En effet, à chiffre d’affaires identique, les entreprises employant beaucoup de personnel sont pénalisées par rapport à celles qui en emploient peu. De plus, le gouvernement pratique largement les exonérations de cotisations patronales, sans rembourser intégralement à la Sécurité sociale les dettes induites.

Enfin, de nombreux revenus échappent aux cotisations. Président de la Cour des comptes, M. Philippe Séguin a calculé que, si les stock-options étaient normalement assujetties aux cotisations sociales, elles fourniraient 3 milliards d’euros, soit la moitié du déficit de la branche maladie de la Sécurité sociale en 2007 (3). En effet, le budget de cette dernière n’obéit pas aux lois du marché. Le déficit dépendant des dépenses mais aussi des rentrées, c’est-à-dire des moyens alloués par l’Etat, le budget résulte finalement d’une décision politique (4).

La vraie question est en réalité celle de l’augmentation des besoins de santé – plus rapide que celle du produit intérieur brut (PIB) – et des choix de société qu’elle implique. Malgré les affirmations de certains statisticiens raisonnant en augmentation relative des coûts, l’accroissement des besoins de santé (et donc de leur coût en valeur absolue) s’explique par cinq développements majeurs : le vieillissement et les pathologies qui lui sont liées ; l’augmentation de l’obésité et de ses complications (aux Etats-Unis, pour la première fois, l’espérance de vie de la population a diminué pour cette raison) ; le développement de l’anxio-dépression et des conduites addictives ; les progrès médicaux plus ou moins importants mais toujours plus coûteux ; leur caractère incomplet, qui provoque l’inflation du nombre de maladies chroniques qu’on ne sait pas guérir mais qu’on peut soigner, à des coûts de plus en plus élevés (sida, diabète, insuffisance rénale, polyarthrite rhumatoïde, insuffisance cardiaque, insuffisance coronaire, ostéoporose, etc.).

La France dépense 11 % de son PIB pour la santé – un taux voisin de celui de l’Allemagne, du Canada et de la Suisse ; moins important que celui des Etats-Unis (16 %) ; plus que celui du Royaume-Uni (9 %). Il paraît réaliste de penser que la part de la production de richesse nationale consacrée à la santé devrait continuer à augmenter pour atteindre, en France, 15 % en 2025.

Il s’agit là d’un choix de société. Les partisans du libéralisme n’ont d’ailleurs pas d’objection à cette augmentation de la part du PIB consacrée à ce secteur. Ce qu’ils contestent, c’est que ces sommes considérables échappent à la loi du profit. Il est de ce point de vue très frappant que les économistes et les politiques qui fustigent les gaspillages engendrés par les prescriptions inutiles ou les arrêts de travail abusifs n’aient rien à redire concernant trois secteurs de dépense importante.

D’abord, le gaspillage de l’industrie pharmaceutique, qui consacre environ 25 % de son chiffre d’affaires au marketing, alors que le marché de la santé n’est pas un marché comme les autres : il est en grande partie socialisé, puisque largement financé par la Sécurité sociale. Un rapport de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) (5) estime que le montant du marketing pharmaceutique est de 3 milliards d’euros par an, sans parler du coût induit par des prescriptions de médicaments nouveaux, plus chers, mais n’apportant pas d’amélioration importante du service médical rendu (par tête d’habitant, la France dépense 50 % en plus pour les médicaments que l’Italie, le royaume-Uni, l’Espagne et l’Allemagne). L’IGAS réclame un arrêt de la course promotionnelle et une réduction de 50 % des sommes allouées au marketing par l’industrie.

Ensuite, les partisans de la libéralisation des services restent muets sur les résultats de la privatisation partielle des soins, déjà réalisée dans certains domaines, par exemple pour les assistances respiratoires et nutritionnelles à domicile ou pour le traitement par pompe à insuline. Ces prestations sont assurées par des entreprises privées appartenant à de grands groupes comme Air Liquide ou Nestlé. Or le coût du traitement par pompe à insuline a été multiplié par trois, et ces prestataires ont tendance à empiéter sur les soins réalisés par les spécialistes, y compris ceux des services hospitaliers.

Enfin, la France détient le record européen des hospitalisations en milieu privé à but lucratif (23 %). Les cliniques ne sont plus, dans la majorité des cas, la propriété des chirurgiens qui y travaillent, comme c’était le cas par le passé. Elles appartiennent le plus souvent à des sociétés internationales qui ont des activités dans d’autres secteurs que la santé. C’est le cas de la Générale de santé (cent quatre-vingts cliniques), qui vient de racheter l’hôpital de la Croix-Rouge, dans le XIIIe arrondissement de Paris. C’est également le cas d’un nouveau venu, Vitalia, lié au fonds d’investissement américain Blackstone, dont les actionnaires exigent des taux de rentabilité du capital supérieurs à 20 %.

Vitalia, qui vient de racheter quarante cliniques, poursuit son offensive. De même, le fonds d’investissement 21 Centrale Partners, lié à la famille Benetton, a acquis la clinique Chanteclair, à Marseille, « base d’un futur pôle d’excellence constitué de plusieurs cliniques ». Le secteur de la santé français attire donc des capitaux internationaux en attente d’une vague de privatisations.

C’est dans ce contexte qu’a été mis en œuvre le financement des hôpitaux appelé T2A (tarification à l’activité), dont le but déclaré est de diminuer le coût des hôpitaux. Et l’objectif, inavoué, d’augmenter le financement des cliniques.

En fait, le financement ne se fait pas en fonction d’une « activité » (ou soin) comme annoncé, mais de codes sensés regrouper des pathologies similaires. Or ces codes sont largement « biaisés » car il existe environ dix mille pathologies pour seulement sept cents codes définissant des groupes « homogènes » de séjours (6). Chaque groupe se révèle en réalité hétérogène et comporte plusieurs pathologies. Comme par hasard, au sein d’un même groupe « homogène », les pathologies simples correspondent à l’activité principale des cliniques privées, alors que les plus complexes et les plus graves correspondent à l’essentiel de l’activité des hôpitaux publics.

Ainsi, la sinusite chronique est pour la clinique, la tumeur ORL pour l’hôpital ; la sciatique pour la clinique, la fracture du rachis pour l’hôpital ; le stimulateur cardiaque pour la clinique, l’insuffisance cardiaque pour l’hôpital. De plus, lorsqu’il s’agit d’activités purement hospitalières, tels le traitement des leucémies ou les réanimations les plus lourdes, leur financement a souvent été sous-estimé.
Avoir en permanence des lits vides

Il suffit d’examiner ce que révèle la prétendue convergence public-privé fixée par le gouvernement pour l’horizon 2012 pour comprendre l’objectif réel de la réforme du financement des hôpitaux. En effet, cette notion est aberrante en raison d’une différence structurelle des coûts. Ainsi, l’hôpital doit assurer la permanence des soins vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Cela signifie qu’il doit toujours avoir des lits vides prêts pour faire face à tout besoin aigu (épidémie de bronchiolite, canicule, etc.). Contrairement à une clinique, il ne peut donc pas viser une occupation à 100 %. Ne pas financer les 15 % à 20 % de places vides, ce serait comme payer les pompiers seulement quand il y a le feu !

Pour la même raison, une partie des hospitalisations ne sont pas prévisibles. Or, pour une pathologie identique, une admission non programmée coûte environ 60 % plus cher qu’une admission programmée. De plus, le privé a l’habitude de faire pratiquer ailleurs les examens complémentaires nécessaires avant l’entrée en clinique (prises de sang, électrocardiogramme, radios...), ce qui permet d’externaliser leurs coûts, contrairement à l’hôpital public, qui réalise lui-même les examens (7).

La T2A est faite pour mesurer la quantité, pas la qualité ; les procédures standardisées, pas la complexité ; les gestes techniques, pas l’acte intellectuel. Elle ne prend en compte ni la gravité, ni l’activité de services hospitaliers hautement spécialisés, ni la précarité, ni les problèmes psychologiques, ni l’éducation du patient... Autrement dit, elle est à peu près adaptée ou du moins adaptable aux pathologies relevant d’actes techniques et de procédures bien définies comme la radiologie, mais elle se révèle inadaptée et probablement inadaptable pour l’essentiel de l’activité des services de médecine (médecine interne, maladies infectieuses, diabétologie, rhumatologie, gériatrie, neurologie...) des hôpitaux publics.

Au demeurant, même pour une pathologie simple bien codifiée (intervention pour des varices ou pour une prothèse de hanche), on ne peut comparer l’intervention faite à l’hôpital par un jeune chirurgien aidé d’un senior et celle faite, en ville, par un senior expérimenté qui a appris son métier des années auparavant, à l’hôpital, et qui pratique des gestes réglés « à la chaîne ». Enfin, les salaires des médecins sont inclus dans les coûts hospitaliers, alors que les honoraires des médecins et des chirurgiens ainsi que les sommes versées par la Sécurité sociale pour payer en partie leurs assurances n’en font pas partie pour les cliniques privées.

Conçue à l’évidence en faveur des cliniques, la mise en place de la T2A a entraîné une augmentation de 9 % du codage d’activité desdits établissements. Certaines disposent d’ailleurs d’un logiciel permettant de trouver le codage correspondant à la facturation maximale pour la Sécurité sociale.

Le déséquilibre est d’autant plus évident que, pour ce qui concerne les missions de service public, il a été prévu une enveloppe correspondant à seulement 10 % des recettes globales fournies par la T2A. Comme attendu donc, 90 % des hôpitaux publics – dont vingt-neuf des trente-deux centres hospitaliers universitaires (CHU) – vont être en déficit, voire en faillite. Pour les CHU, le trou devrait être de 400 millions d’euros, dont 200 pour l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) et 35 pour l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Ce déficit servira d’argument pour tenter d’augmenter encore la productivité.

Directeur général des Hospices civils de Lyon, président de la Conférence des directeurs généraux de CHU, M. Paul Castel a récemment réclamé une révision du statut administratif des hôpitaux : « Seul un traitement de choc au travers d’un changement de statut permettra aux CHU d’acquérir la souplesse indispensable à leur compétitivité dans un environnement concurrentiel (8). » A cette fin, il préconise le passage à un statut d’établissement public industriel et commercial (EPIC), et non plus administratif (EPA), donnant aux gestionnaires « plus d’autonomie dans le recrutement et la gestion des personnels » : « Les directeurs passeraient des contrats avec les équipes médicales afin d’attribuer un intéressement. » En clair, il s’agit d’en finir avec le statut de la fonction publique et d’embaucher les personnes sous contrat de droit privé afin, notamment, de pouvoir les licencier plus facilement.

Le déficit permettra également de justifier l’abandon de certaines activités, la restructuration d’autres, voire la fermeture pure et simple d’établissements ou leur transformation en maisons de retraite ou en centres de soins de suite. Certains pourront être vendus au privé. Si on peut comprendre que des services de chirurgie n’ayant plus d’activité suffisante ou n’offrant pas la sécurité requise doivent être fermés, il faut voir que ces fermetures se feront en faveur des cliniques privées. Etonnamment, celles-ci ne semblent pas soumises aux mêmes exigences pour maintenir leur activité, comme on l’a observé lors du développement de la chirurgie de l’obésité (après une enquête de l’assurance-maladie, les actes de chirurgie digestive de l’obésité sont passés de seize mille en 2002 à dix mille en 2003 !).

Qu’importe, peut-on penser, que les patients soient opérés en clinique si la qualité est suffisante, et tant mieux si cela coûte moins cher à la Sécurité sociale et donc à la collectivité. C’est oublier le coût pour le patient lui-même, avec des dépassements d’honoraires devenus exorbitants – selon l’IGAS, ils atteignent 2 milliards d’euros par an (9). A Paris, il est commun de devoir payer des dépassements de l’ordre de 500 à 1 000 euros pour une cataracte ; pour une prothèse de hanche, 3 000 euros pour le chirurgien et 1 000 euros pour l’anesthésiste.

Ces phénomènes ne touchent pas seulement les cliniques mais concernent également l’activité privée au sein des hôpitaux publics. Il s’y pratique des dépassements d’honoraires qui, bien souvent, ne correspondent plus à aucune règle éthique : le médecin ou le chirurgien compare ses revenus à ceux d’un grand patron, d’une star du show-business, d’un champion du ballon rond. De même, quand on a fait entrer dans les têtes que « l’hôpital est une entreprise », on ne doit pas s’étonner que les internes en grève trouvent normal de bloquer la production, c’est-à-dire de faire la « grève des soins ».

Finalement, quand on met bout à bout les différentes mesures – franchises, dépassements d’honoraires, menaces de déconventionnement, développement (grâce à des taux élevés de rentabilité) du secteur privé à but lucratif –, on ne voit qu’une cohérence : la limitation de la part du financement par la Sécurité sociale au profit d’un rôle de plus en plus important laissé aux assurances complémentaires, et en particulier aux assureurs privés. Leur participation au financement de la santé risque de déboucher non pas sur une médecine à deux vitesses, mais sur une médecine à dix ou vingt vitesses. Chacun choisirait une assurance « à la carte », non en fonction de ses besoins, mais selon ses moyens. Qui fera les frais de cette privatisation ? Ni les classes les plus riches ni les couches moyennes supérieures. Mais pas davantage les plus pauvres, bénéficiaires de la couverture-maladie universelle (CMU). Les couches moyennes inférieures, qui gagnent entre une fois et deux fois le smic par mois, seront en revanche frappées au premier chef. Soit plus de 50 % des salariés.
Deux voies de réforme

La progression quasi inexorable d’une politique remettant en cause un service public que nous enviaient les autres pays opère grâce à une véritable stratégie. Et à ses six instruments :

1. Le « bon sens » comptable. Il permet de dissimuler l’objectif du profit et d’occulter l’idéologie qui sous-tend la nouvelle politique de la santé. Ce bréviaire comporte quelques phrases-clés : « La médecine est une marchandise comme les autres » ; « Seul le marché est efficace pour régler les besoins » ; « La garantie de l’emploi est un luxe d’un autre âge ».

2. Le cheval de Troie. Plusieurs responsables administratifs de très haut niveau, comme le directeur de la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM), M. Frédéric Van Roekeghem, se comportent comme des adversaires du service public, et semblent militer en faveur de sa privatisation.

3. Les transfuges. Des économistes ou gestionnaires venus de la gauche ont rallié la politique libérale. C’est le cas de M. Gilles Johanet, ancien directeur de la Sécurité sociale devenu directeur médical des assurances AGF, qui avait proposé une assurance médicale d’excellence à 12 000 euros par an destinée aux chefs d’entreprise. C’est le cas également de M. Jean de Kervasdoué, directeur des hôpitaux de 1981 à 1986, devenu résolument favorable au développement du secteur privé au sein des hôpitaux publics et au changement de statut de ces derniers – ce qui leur permettrait de licencier pour raisons économiques (10).

4. Certains syndicats. La réforme a bénéficié de la collaboration de nombreux syndicats, en particulier médicaux, attirés par le hochet des jeux de pouvoir introduits par la nouvelle gouvernance.

5. Les responsables politiques. Ils utilisent la tactique du « pied dans la porte, main sur le bras » tirée du manuel du bon vendeur. Ensuite, on pousse un peu pour élargir l’entrebâillement, tout en faisant croire aux victimes qu’on agit pour leur bien. Cela a commencé par la franchise de 1 euro sur la consultation, avant de concerner les boîtes de comprimés et les transports. Puis vient l’augmentation des tarifs. Toujours, bien sûr, au nom de la défense sacrée de la Sécurité sociale, dont, la main sur le cœur, on sape avec application les fondements. Au bout de la route, on fera appel aux assureurs privés pour mettre de l’ordre dans le système et stopper l’arbitraire des dépassements d’honoraires...

6. Le fractionnement des résistances. Les gouvernants ont, jusqu’à présent, su jouer des divisions catégorielles, CHU contre centres hospitaliers régionaux non universitaires, grands centres hospitaliers contre petits hôpitaux de proximité, professeurs des universités -praticiens hospitaliers (PU-PH) contre praticiens hospitaliers non universitaires (PH), internes contre seniors, patients pris en charge à 100 % (au titre des affections de longue durée) contre patients non pris en charge à 100 %, etc.

Afin de contrer cette politique, les défenseurs du service public pourraient lui opposer une réforme partant des besoins de la population et visant à garantir l’égalité d’accès aux soins. Solidaire, le système de financement doit être assuré par les cotisations sociales et par l’impôt. De ce point de vue, si l’on peut accepter, voire souhaiter, que coexistent un service public et des établissements privés à but non lucratif, il n’y a aucune raison que le financement public continue à enrichir les actionnaires de sociétés à but lucratif telles que la Générale de santé – qui vient de décider de verser 420 millions d’euros à ses actionnaires –, Vitalia, ou 21 Centrale Partners.

Deux voies de réforme du système de santé s’opposent. L’une, néolibérale de privatisation rampante, vise à transférer les coûts vers les ménages et les assureurs privés selon la formule : « A chacun selon ses moyens ». L’autre, républicaine, égalitaire, cherche à défendre le principe du : « A chacun selon ses besoins socialement reconnus ». Elle s’emploie à la fois à rénover le service public et à remettre en cause les dérives mercantiles des pratiques médicales ainsi que celles des industriels de la santé.

285 pages
édition : mai 2009