Sinclair : Pétrole

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" Comme Emile Zola, Upton Sinclair n'a rien d'un styliste extasié : il peint large, vite, puissant, il emporte le lecteur et l'incite à s'insurger : Sinclair n'aurait pas renié l'acception utilitaire de son travail. Pourtant Pétrole ! demeure un récit d'aventure. Tel Géant, livre qui fut lui aussi adapté au cinéma, ce roman se veut le roman du pétrole, volontiers scélérat, que Sinclair avait déjà affronté en manifestant contre les Rockefeller. On ne manquera pas d'être frappé, dans la première partie du livre, par la toute puissance de J. Arnold Ross, magnat de la génération fondatrice de l'industrie pétrolière américaine, et par la soumission parfaite de son fils Bunny. Pourtant, le jeune homme s'affranchit de cette tutelle écrasante et finit par tracer sa propre voie, singulièrement différente de ce que dessinait l'exemple paternel. Sept cents pages d'idéalisme, empreintes de toutes les composantes du roman d'éducation : on sent qu'Upton Sinclair aspire à donner vie à la chimère de la littérature américaine de tout temps, the great American novel, le grand roman américain à l'échelle du pays-continent qui, une fois pour toutes, s'inscrira dans l'histoire littéraire.» Extraits de la préface d'Olivier Barrot Upton Sinclair (1878-1968) connaît une enfance pauvre et nomade. À vingt ans, il est correspondant de guerre à Cuba. Rendu célèbre par La Jungle (réédité en 2003 par Mémoire du Livre), il multiplie les livres coups de poing, dénonçant les tares de la société américaine. Il signe sans doute son chef-d'oeuvre en 1927 avec Pétrole !, qui vient d'être porté à l'écran par Paul Thomas Anderson sous le titre There Will Be Blood. Extrait du livre : La route filait, lisse, nette, quatre mètres trente de large exactement, les bords coupés comme au ciseau, ruban de ciment gris déroulé à travers la vallée par une main géante. Le sol ondulait en longues vagues : une lente montée, puis un plongeon soudain. Vous grimpiez et passiez en trombe la crête, mais vous étiez sans crainte, car vous saviez que le ruban magique serait là, libre de tout achoppement, vierge de toute bosse ou crevasse, attendant le passage des roues aux caoutchoucs gonflés tournant sept fois à la seconde. Sur les côtés déferlait en sifflant l'âpre vent du matin, orage de mouvements qui vibrait et grondait en des harmoniques aux incessantes variations. Mais vous vous pelotonniez confortablement derrière un pare-brise incliné qui dérivait la tornade par-dessus votre tête. Quelquefois, il vous plaisait de lever votre main pour sentir le choc glacial ; quelquefois, vous risquiez un oeil par le côté du pare-brise afin que l'ouragan vous frappe au front et vous ébouriffe les cheveux. Mais, la plupart du temps, vous demeuriez assis, muet et digne, car c'était ainsi que faisait Papa, et les manières de Papa constituaient l'éthique de l'automobilisme. Papa portait un pardessus de couleur beige, d'une étoffe souple et moelleuse, d'une coupe cossue, croisant sur la poitrine, avec un grand col, de larges revers et de vastes rabats aux poches, tous endroits où un tailleur peut exprimer l'opulence. Le manteau du petit garçon avait été fait par le même tailleur, de la même étoffe douce et moelleuse, avec le même grand col, les mêmes amples revers et les mêmes vastes poches. Papa portait pour conduire des gants à crispin ; dans le même magasin il s'en était rencontré du même genre pour garçonnets. Papa avait des lunettes à monture d'écaille ; le garçon n'avait jamais eu besoin de l'oculiste, mais il avait déniché dans une pharmacie une paire de lunettes à verres ambrés avec un tour en écaille comme celles de Papa. Il n'y avait pas de chapeau sur la tête de Papa, parce que celui-ci pensait que le vent et le soleil empêchent vos cheveux de tomber ; aussi le petit garçon s'en allait-il également boucles au vent. La seule différence qu'il y avait entre eux, en dehors de la taille, c'était que Papa gardait dans le coin de sa bouche, sans l'allumer, un gros cigare brun, survivance des anciens jours de trimard alors qu'il chiquait du tabac en conduisant des attelages de mulets. 80 km/h, disait l'indicateur de vitesse. Telle était la règle de Papa en rase campagne ; il ne la modifiait jamais, sauf par mauvais temps. Les côtes ne comptaient pas ; une pression un tout petit peu plus forte du pied droit et la voiture filait en bondissant jusqu'au haut de la crête, replongeait vers le vallon suivant, toujours exactement au centre du magique ruban de ciment gris. Elle se mettait à reprendre de la vitesse en descendant le versant ; Papa diminuait un tantinet la pression de son pied et laissait à la résistance du moteur le soin de modérer l'allure. 80 km/h étaient assez, déclarait Papa : c'était un homme méthodique. 720 pages première édition US : 1926 édition : mars 2008